Modélisation de la dérive des conteneurs perdus imprimer
La plupart des conteneurs que perd un navire coulent aussitôt ou en quelques heures. Les masses conjuguées de la « boîte » et de son contenu sont souvent supérieures à la masse d'eau déplacée. Quand ce n'est pas le cas, les espaces vides autour du contenu se remplissent progressivement d'eau (les « boîtes » ne sont pas totalement étanches) et la flottabilité positive du début devient peu à peu flottabilité négative. Mais des conteneurs dont le chargement est par nature plus léger que l'eau, des bidons ou des citernes pas entièrement pleins qui s'échappent d'un conteneur déchiré, peuvent flotter pendant des semaines ou bien plus. Ils peuvent alors constituer un danger pour la navigation avant de s'échouer sur un littoral plus ou moins lointain.
Deux des premières questions qui nous sont posées par les préfectures maritimes quand un navire perd des conteneurs au voisinage des eaux françaises sont donc : « Certains conteneurs vont-ils flotter longtemps ? » et « S'ils flottent, où iront-ils ? »
La réponse à la première question ramène au sujet « La recherche d'informations sur les risques » : toute réponse sur la flottabilité est un simple pari aussi longtemps qu'il n'y a pas eu contact direct avec ceux qui ont conditionné le chargement du conteneur. Un emballage dans du polystyrène expansé ou de la feuille de plastique à bulles d'air, un volume libre au-dessus du liquide dans une citerne, peuvent tout changer dans le pronostic. Cela n'empêche pas de lancer une prévision de dérive, mais celle-ci ne sera alors qu'une hypothèse.
Une coopération étroite avec Météo France a permis la mise au point d'un outil spécifiquement conçu pour cette prévision : une adaptation au problème des conteneurs du modèle de prévision de dérive de nappes d'hydrocarbures MOTHY. Le 2 février, dès information par la préfecture maritime de l'Atlantique que le Lykes Liberator avait perdu 60 conteneurs la veille et qu'un avion de patrouille maritime avait observé un conteneur citerne jaune en mer, le cadre d'astreinte du Cedre a demandé à Météo France une simulation de dérive. Cette simulation a porté sur tous les niveaux possibles d'enfoncement d'un conteneur (de 10 à 90%). Les résultats donnaient dans tous les cas une dérive orienté SW - NE. Les conteneurs à taux d'immersion faible (10 à 30%) entraient en Manche à partir du 5 février, près du rail d'Ouessant.
Le 6, la préfecture maritime recevait en fin de journée l'information que les citernes perdues étaient vides. C'était un élément important pour leur recherche par les avions de patrouille, qui n'avaient rien retrouvé depuis le 2, les conditions météorologiques et la visibilité étant très mauvaises. Le 8 au matin la préfecture maritime et le Cedre demandaient à Météo France une simulation complémentaire sur 3 jours, à partir des positions présumées atteintes le 5 février à 13h, aux immersions 10, 20 et 30%. Les résultats de cette simulation complémentaire donnaient une présence possible des objets recherchés entre le nord d'Ouessant et les approches des îles anglo-normandes.
Le même jour, à 18h, une citerne jaune et un conteneur rouge étaient signalés. Une nouvelle simulation était effectuée aussitôt. Le 9 février, à 8h30, les 3 citernes de produits chimiques étaient localisées à 15 nautiques au Nord-Ouest d'Ouessant, espacées de 5 nautiques. Elles étaient balisées par l'Abeille Flandres et récupérées le lendemain par l'Alcyon.
A l'arrivée au port de Brest, en zone abritée, le taux d'enfoncement des citernes était estimé entre 20 et 30%. La modélisation semblait donc avoir annoncé une dérive plus rapide que la réalité. Mais les piétements des citernes, qui étaient immergés, ajoutaient une importante traînée, estimable à une bonne dizaine de points d'immersion supplémentaire. Or la modélisation sur la base de 40% d'immersion était proche de la réalité.
Cet exemple illustre tout le problème de la simulation d'une dérive de conteneur. Le modèle utilisé doit naturellement être précis et fiable, ce qui n'est pas facile à proximité de la côte, où les interférences sont multiples. Mais en plus ceux qui l'utilisent doivent connaître toutes les caractéristiques de flottabilité et de forme extérieure de ce qu'ils tentent de suivre, pour choisir dans les résultats obtenus « l'équivalent immersion » le mieux adapté. Toute incertitude, même minime, peut se traduire par des différences considérables entre la prévision et la réalité, surtout dans un cas comme celui-ci, où les volumes suivis dérivaient presque parallèlement à la côte.