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Lutte contre la pollution

Un échouement évité de justesse

Dès le SOS du Tanio, les remorqueurs d'assistance Malabar, Abeille Languedoc et Abeille Flandre se dirigent sur les lieux du naufrage. Malgré une faible visibilité (2 a 5 miles dans les grains), une houle et des vents très forts, les remorqueurs arrivent avant la nuit. La partie arrière du Tanio continue à dériver vers l'est. Elle ne laisse pas de trace de pollution dans son sillage mais les 7 500 t de fioul lourd qu'elle transporte ne se trouvent plus qu'à deux nautiques des hauts fonds du plateau de Barnouic. L'épave doit être prise en remorque au plus vite mais le vent est trop fort. Toute intervention est impossible.
 
Le lendemain le vent mollit. Vers 11 heures, malgré des creux de 7 mètres et un vent de 55 km/h, deux hommes de l'Abeille Languedoc prennent pied sur le Tanio. Une équipe d'intervention de 12 hommes est hélitreuillée en renfort. Le tir du lance-amarre, réussi du premier coup, permet in extremis d'éviter l'échouement. Le Tanio n'était plus qu'à 1 000 mètres des brisants.
 
L'Abeille Languedoc met cap au nord-ouest, en attente d'un port-refuge. Après négociation, le remorqueur prendra la direction de la baie de Seine pour accoster à Le Havre trois jours plus tard.
 
A partir du 15 mars, les opérations de vidange s'organisent à quai. Le pétrole réchauffé grâce à la chaudière du Tanio est pompé. Une semaine plus tard, le pompage est terminé : 7 500 t ont été déchargées sans incident ni pollution. L'épave en cale sèche peut être expertisée. Elle sera finalement remorquée jusqu'à Santander (Espagne) le 21 juin pour y être démolie.

Un pétrole difficile à traiter

Les équipes scientifiques du Cedre, de l’IFP, des compagnies pétrolières, de l’Institut Scientifique et Technique des Pêches Maritimes étudient avec attention le pétrole du Tanio.
Le mélange d’hydrocarbures lourds initialement chauffé dans les citernes est devenu au contact de l’eau froide un produit émulsionné collant et épais. Dans le milieu marin, il ne s’évapore pas, se biodégrade peu (moins de 10%) et lentement. Il est trop visqueux pour être pompé facilement. L’utilisation de dispersants serait inefficace.
A terre, le pétrole évolue lentement avec son exposition au soleil et à l’air. Une fois l’émulsion rompue, il prend une coloration noire et durcit en surface, ce qui le rend particulièrement difficile à ramasser et à traiter. Sa viscosité est d’autant plus grande que la température au mois de mars 1988 est faible.

Le plan POLMAR-Mer

Dès l'annonce du naufrage, le Préfet Maritime de l'Atlantique déclenche le Plan POLMAR-Mer. Mais le mauvais temps retarde pendant 48 heures les opérations de lutte en mer. De toute façon, l'emploi de dispersants et de produits coulants (essais de craie Nautex réalisés par la Marine nationale) aurait été inutile : le fioul du Tanio est trop visqueux. Les autorités renoncent aussi à la récupération en mer du pétrole faute d'outil adapté.
 
Le lendemain du naufrage, le Cedre, la Météorologie Nationale et le LNH-EDF de Chatou mettent en œuvre un dispositif de prévisions de dérive des nappes (du 7 jusqu'au 20 mars) afin de mieux évaluer l'ampleur de la pollution. Le modèle, élaboré par Météo-France, qui intègre les prévisions météorologiques en temps réel, prévoit que les Côtes d'Armor seront le premier département touché.
Les missions aériennes militaires et civiles (appareils des Affaires Maritimes, de la Douane, de la Protection civile, de la Marine nationale) se succèdent pour apprécier l’évolution de la pollution en mer et à la côte.

Lutte à terre

La pollution dans les Côtes d'Armor

Le préfet des Côtes d'Armor attend avant de déclencher le plan POLMAR-Terre. Il souhaite d'abord mesurer l'ampleur de la pollution. Suite aux prévisions météorologiques du 7 mars, il décide de rassembler le matériel antipollution à Tréguier. Il veut ainsi faciliter la concentration des moyens et accélérer le règlement des dépenses engagées. Effectivement, une première nappe longue de 4 kilomètres est repérée au large de la côte de granit rose. De larges traînées sont aussi observées dans une zone de 1 à 5 kilomètres à environ 30 kilomètres au nord de l'Ile de Batz.
Les services maritimes de l'équipement mettent aussitôt en place les barrages flottants du plan POLMAR. Ils sont conseillés par le Service Technique des Phares et Balises (STPB). Dans le cadre du programme de protection des estuaires, le port de Perros-Guirec, la Baie du Lenn, Javoy, Trieux sont protégés. Sur l'Ile Grande, une équipe de protection civile belge pose un barrage long de 760 m. Le PC de Lannion renforce le dispositif en organisant la collecte de nouveaux barrages auprès de fournisseurs privés. Au total, 15 km de barrages seront déployés dans les Côtes d'Armor.
Des feuilles de matière synthétique complètent la protection des barrages. Mais ces " tapis de rive " ont une efficacité réduite face au vent et à la houle. Des bandes de 6 à 8 m de large avec une jonction étanche entre deux sont déroulées sur les ouvrages maçonnés, quais, promenades.

Une nappe de 1 kilomètre sur 20 à 30 m est signalée dans la matinée du 9 mars au large de Trégastel et des Sept-Iles. Poussée par le vent de nord-ouest, elle atteint Ploumanac'h et Trégastel. Des festons se forment dans la baie de Primel et dans la rivière de Léguer.
Le plan POLMAR-Terre est finalement déclenché le 10 mars. Des postes de commandement sont installés à Saint-Brieuc, Lannion et Trégastel.
Entre le 9 et le 15 mars, les vents d'ouest persistants et les courants de marées font dériver le pétrole plus à l'est. Port-Blanc puis Plouha, la baie de Saint-Brieuc sont à leur tour touchés. Cette première phase de la marée noire affecte majoritairement Trégastel et Perros-Guirec. Elle marque le point de départ d'un arrivage continu et massif de produits frais qui se poursuivra sur le littoral des Côtes d'Armor durant une semaine.

La pollution s'étend dans le Finistère Nord

Avec l'établissement de vents de secteur sud-est, le pétrole sur le littoral des Côtes d'Armor est partiellement décollé et repris par la mer. La marée noire est rabattue sur les côtes du nord Finistère. Le produit vieilli, mélangé à des algues atteint Roscoff le 20 mars, 20 kilomètres de côtes sont souillées. Le Préfet du Finistère déclenche le plan POLMAR-Terre le 22 mars. Un PC fixe finistérien est installé à Quimper tandis que pour la première fois, un PC Opérationnel se met en place à Morlaix. La semaine suivante, la marée noire pollue des plages déjà nettoyées et s'étend encore. Elle touche Brignogan et Guisseny.

Le ramassage du pétrole à terre

Dès la première semaine, pas moins de 15 chantiers sont mis en place (Plubien, Plougueil, Plougrescant, Penvenan, Ploumanac'h, Kerlavos, Pleumeur-Bodou, Louannec, Perros-Guirec). Très rapidement, les premières accumulations de pétrole font l'objet d'un ramassage grossier mais massif. Des camions à vide et des fosses à lisier sont largement utilisées durant cette phase du nettoyage. Les militaires sont affectés en priorité à Trégastel et Perros-Guirec tandis que les sapeurs-pompiers sont dirigés vers les autres communes. De très nombreux îles et îlots sont dépollués mais le nettoyage et l'évacuation des déchets posent des problèmes de logistique.

Les plages des Côtes d'Armor sont débarrassées très rapidement des accumulations de pétrole malgré des rééchouages fréquents. Les festons déposés sur les sites accessibles aux véhicules sont grossièrement éliminés à la pelle. Certaines plages font l'objet d'un nettoyage manuel plus sélectif (déchets avec seulement 20% de sable). Cette méthode lente nécessite une main d'ouvre considérable, c'est pourquoi le ramassage mécanique est utilisé en complément. Sur le chantier de la Grève Blanche, des engins de travaux publics récupèrent les nappes épaisses et homogènes. On estime à 400 tonnes la quantité de pétrole déposée. Afin de réduire les volumes de déchets, le Cedre engage des études sur des engins plus sélectifs. Les techniciens adaptent et améliorent les équipements de récupération utilisés lors des opérations de dépollution engagées suite à l'accident de l'Amoco Cadiz en 1978.

Dans les Côtes d'Armor, la configuration du littoral (côtes rocheuses découpées, caps, baies profondes) complique les opérations de nettoyage. Le ramassage manuel en zone inaccessible est dangereux pour les militaires, pompiers, agents de l'État et bénévoles qui interviennent.
Dans certains cas, les accumulations du pétrole du Tanio dans et sous les rochers peuvent être enlevées à l'aide de lances à eau de mer basse pression et fort débit. Le polluant flottant à la surface de l'eau est alors dirigé vers une barge de récupération type EGMOPOL comme à Ploumanac'h, ou bien détourné naturellement vers un point de récupération en utilisant les courants marins, la marée et les vents. Certaines barges ostréicoles munies de leur drague à coquilles sont utilisées comme des serpillières pour collecter le fioul gluant et collant. Suivant leur consistance (liquide, pâteuse ou solide), les polluants récupérés sont entreposés dans des fosses creusées en haut de plage et protégées par des bâches plastiques.
Ces déchets sont ensuite chargés et acheminés vers un site de traitement.

Le cas particulier des îles

Dans les Côtes d'Armor, la pollution est très importante sur les îles et îlots. Les îles Bono et Malban et surtout le littoral de Saint-Gildas-de-Rhuys ainsi que les îlots qui suivent jusqu’à la Pointe du Château ont été touchés de plein fouet.
Sur certaines îles inhabitées, il s’agit d’abord de débarquer la main d’œuvre puis de mettre en place une logistique autour du matériel transporté (notamment les systèmes de pompage). Dans le cas de l’Ile de Renote près de Ploumanac’h par exemple, ni le clapot, ni la houle ne peuvent reprendre le pétrole. Il est alors nécessaire d’avoir recours à des pompes basse pression à eau de mer embarquées sur des radeaux.
Mais dans ces zones où l’approvisionnement en eau douce est impossible, il n’est pas toujours possible d’utiliser des pompes pouvant fonctionner à l’eau de mer. Alors seules les algues souillées sont récupérées dans des sacs évacués ensuite vers le continent.
Parfois, les sites touchés sont suffisamment exposés au nettoyage naturel. La mer agitée se charge de laver le pétrole, au détriment de la qualité de l’eau qui restera plus longtemps chargée en hydrocarbures.

Nettoyage fin des plages et des rochers

Le nettoyage fin des rochers puis des plages a commencé dès le 15 avril dans les Côtes d'Armor. Mais les rendements journaliers obtenus pour le lavage des rochers ne sont pas suffisants. Le Cedre cherche à améliorer la technique utilisant les pompes à eau chaude haute pression. Des tests sur une série de produits de lavage sont réalisés. Finalement, le Cedre recommandera de nettoyer les rochers à l'eau chaude. Il souligne l'importance de récupérer le pétrole nettoyé. Le pompage direct dans des cuvettes réalisées sur les plages est utilisé pour récupérer les forts volumes. Les faibles quantités seront reprises à l'aide d'absorbants.
 
Les dispersants de deuxième génération à très faible dose sont préconisés dans les zones où la récupération est difficile.
 
Une fois les rochers lavés, le nettoyage fin des plages peut commencer. Selon leur nature (plages de sable superficiellement atteintes, plages de sable grossier retenant l'eau à marée basse ou plages de galets), plusieurs alternatives sont conseillées par le Cedre : lavage à l'eau et récupération par pompage, labourage avec utilisation d'absorbants, lavage par brassage à l'eau de mer ou lavage par eau à fort débit additionnée de produits absorbants.

Le traitement des déchets

En plus du matériel fourni par les communes et les plans POLMAR, les mairies utilisent le matériel agricole. Contre un dédommagement matériel à chaque fin de semaine, chaque commune des Côtes d'Armor bénéficie de remorques, tracteurs, tonnes à lisier nécessaires au pompage et au transport des déchets jusqu' aux zones de stockage intermédiaire.
 
Dès le 14 mars, des camions-vidangeurs prennent le relais. Ils opèrent en priorité sur les fosses saturées de Trégastel et Perros-Guirec. Malgré leurs turbines et leurs pompes à vide très puissantes, ils débarrassent difficilement les côtes des résidus frais, liquides et visqueux. Le Cedre tente de mettre au point des systèmes fluidifiants afin que le pétrole puisse être pompé et acheminé au dépôt pétrolier.
Les produits liquides riches en fioul sont traités en station de déballastage. Les résidus pâteux et les déchets subissent un premier traitement à la chaux vive en fosse près de la côte. Ils sont ensuite acheminés vers Louargat où ils sont traités une nouvelle fois.

Une grande partie des déchets pollués traités à la chaux servira de remblai pour la construction de la RN12 dans les Côtes d'Armor.

Bilan chiffré des opérations POLMAR

La pollution qui a d'abord touché massivement les Côtes d'Armor puis le Finistère, s'est ensuite installée sur près de 160 km de côtes. Les opérations de lutte ont mobilisé plus de 3 000 personnes dont 2 500 militaires. Pas moins de 200 chantiers dispersés sur 38 sites ont été nécessaires pour éliminer toute trace de pollution sur les deux départements. Près de 54 300 tonnes de déchets souillés ont été ramassés et traités pour 12 500 tonnes d'hydrocarbures déversés.

Département

Tonnage de déchets récupérés au 1er juin 1980

Côtes d’Armor

2 300 t (produits liquides pompés)

Côtes d’Armor

33 000 t (déchets solides collectés)

Finistère nord

19 000 t (déchets solides collectés)

Total

54 300 t

La menace de la pollution à retardement

Repérages

Moins de 10 heures après la cassure, la partie avant du Tanio sombre par environ 80-90 m de fond. Un aviso escorteur retrouvera l'épave au sonar et la marquera. Elle sera ensuite explorée par le chasseur de mine Cybèle permettant de déterminer la position exacte de l'épave.
 
Le 8 mars, le Préfet Maritime de l'Atlantique adresse une mise en demeure au propriétaire et à l'armateur du navire pour qu'ils prennent des mesures pour faire cesser le risque de pollution. Le 13 mars, les assureurs annoncent que l'épave du Tanio va être examinée par la SOCIETE BRITISH OCEANICS. Un sous-marin d'observation embarqué à bord du navire British Voyager explore le tronçon avant du Tanio. Les spécialistes repèrent trois fissures sur les citernes 4 et 5. Ils estiment que chaque jour entre trois et dix tonnes de fioul s'échappent de l'épave.
 
Mi-avril, après les marées de vives eaux, le colmatage des fuites commence. Les plongeurs du sous-marin INTERSUB IV posent des coffrages puis injectent de la résine (11 plongées en 12 jours). La localisation de l'épave et les mauvaises conditions météorologiques rendent les opérations difficiles. Une fois le colmatage achevé, fin avril, la Marine nationale est chargée par la Mission Interministérielle de la Mer de rechercher un moyen d'éliminer définitivement le contenu des citernes de l'épave. Les assureurs renoncent à assumer la responsabilité de la suite des opérations.

Réalisation

La commission consultative qui a été créée préfère la solution du pompage au confinement par enfouissement et à l'allègement de l'épave après renflouement. Un procédé conçu par l'IFP est retenu pour récupérer le pétrole. Un plan d'urgence est prévu pour éviter une pollution accidentelle.
Les travaux estimés à 50 millions de Francs (environ 7 millions d'euros) sont confiés à la COMEX. Ils devront s'achever avant le début septembre du fait des marées et des tempêtes d'équinoxe. Malheureusement, des complications techniques ainsi qu'une succession de tempêtes ralentissent le pompage. Les travaux sont interrompus pendant l'hiver et reprennent au printemps 1981. L'opération prendra fin le 18 août 1981, 5 100 tonnes seront récupérées pour une dépense de 250 millions de Francs (environ 38 millions d'euros).

Dernière modification le 05/03/2020
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