Le traitement de l'épave
Le fioul qui restait prisonnier dans l'épave du Prestige constituait une menace qui ne pouvait pas être négligée. Mais le volume de polluant en jeu, la profondeur et la distance faisaient de cette épave un cas sans précédent. De nombreuses solutions proposées par des inventeurs plus ou moins sérieux ont été évoquées par la presse. Aucune n'avait jamais été mise en œuvre à une telle profondeur.
Ce qui a été fait
Située dans la zone économique exclusive de l'Espagne, l'épave est sous la responsabilité des autorités nationales espagnoles. Celles-ci ont confié à un comité scientifique, en décembre 2002, la charge de réaliser un état des lieux de la situation et des techniques, puis de proposer sur ces bases les options de traitement possibles. Dans le même temps, les autorités ont contracté à travers la société de sauvetage en mer SASEMAR le sous-marin scientifique Nautile de l'IFREMER pour explorer l'épave et sceller les fuites principales.
En février 2003, le rapport final de le comité CSIC établit qu'il doit rester autour de 37 500 tonnes de fioul dans l'épave et qu'on devra s'attendre à voir ce fioul remonter en surface à terme de plusieurs dizaines d'années, au fur et à mesure de la corrosion de l'épave. Il recommande donc d'intervenir et propose comme option prioritaire le pompage, avec comme option alternative d'enfermer l'épave sous un sarcophage de béton ou tout autre matériau. Il estime le coût global des travaux autour de 230 millions d'Euros, en comparaison avec le coût du pompage de l'Erika. Le Cedre n'a pas disposé d'information privilégiée sur les données qui ont servi de base aux réflexions du comité scientifique. Il n'a connu de la situation et des projets que ce qui a été publié dans la presse et dans les communiqués officiels, sauf sur un point : en février 2003, préoccupé par l'importance des fuites annoncées (125 tonnes par jour, puis 80 tonnes par jour), il a demandé au président du comité scientifique accès aux données servant de base à l'évaluation de ces fuites et obtenu qu'un de ses ingénieurs visionne les images prises par le Nautile, sous condition de confidentialité. L'IFREMER, de son côté, a tenu à jour sur son site un bilan des opérations de colmatage des fuites sur le Prestige par le Nautile, dans les limites de son engagement contractuel de confidentialité.
L'étude technique de ces options et la préparation des travaux ont été confiées au mois de mars par le gouvernement espagnol à la société pétrolière nationale REPSOL, qui a constitué pour cela un groupe de travail intégrant 40 experts du domaine de l'intervention sous-marine, dont une représentation de l'équipe constituée par la société TOTAL pour le pompage de l'épave de l'Erika. Ce groupe a conçu et piloté une opération lourde de poursuite du colmatage des fuites de l'épave, développement de robots capables d'intervenir à cette profondeur, conception, réalisation et expérimentation d'un système de percement de trous de grand diamètre (70 cm) dans l'épave, permettant un transfert gravitaire de fioul dans une poche souple récupérée en surface dans un dock flottant. L'ensemble de cette opération préparatoire est décrite dans une vidéo de 24 min visualisable sur le site internet de la société et distribuée en DVD par son service de communication. Les obturations des fuites ont été toutes reprises et renforcées, réduisant la perte totale à quelques litres par jour.
L'expérimentation sur une poche, conduite avec succès en octobre 2003, a conduit le gouvernement espagnol et la société REPSOL à valider la technique, en vue d'une mise en œuvre au printemps 2004, avec un changement. Les poches souples sont remplacées par trois navettes en aluminium qui ne sont pas recueillies dans un dock flottant mais pompées en sub-surface à travers des canalisations souples à injection annulaire d'eau pour faciliter les flux.
Les opérations de récupération du fioul dans l’épave se sont définitivement achevées le 30 septembre 2004. Elles ont permis la récupération, sans incident, de 13 600 tonnes de fioul.
Au total, les information en provenance de différentes sources et des opérations de surveillance aérienne concordent pour nous convaincre que l'épave ne contient aujourd'hui que des quantités de fioul minimes, ne dépassant pas le volume des déballastages par les navires passant au large du cap Finisterre en cas de fuite.
Les options possibles
Pour de plus amples informations sur ce sujet, vous pouvez consulter notre dossier thématique sur "Les épaves potentiellement polluantes" ou télécharger un rapport du Cedre traitant des différentes techniques déjà mises en œuvre pour neutraliser des hydrocarbures et produits chimiques contenus dans des épaves immergées. Vous trouverez par ailleurs quatre exemples d'application dans les dossiers Peter Sif, Erika, Ievoli Sun et Tricolor dans la rubrique "Accidents" de ce site.
Erika, Ievoli Sun, Tricolor :
3 épaves ayant donné lieu à des opérations de neutralisation par les autorités françaises du risque de pollution
Le pompage, se heurte à un sévère problème de fluidité du fioul : le pompage impose une fluidification, soit par chauffage, soit par adjonction d'un produit fluxant. C'est cette deuxième option qui a été retenue pour le pompage réussi du fioul de l'Erika, après une étude thermique ayant mis en évidence que la quantité de chaleur nécessaire pour le chauffage serait considérable. Face à ce problème, la proposition d'ouvrir l'épave en plusieurs points, après avoir placé au-dessus des structures souple ou rigides qui confinerait le pétrole et le guideraient vers un système de pompage ou simplement de collecte en surface, utilisant ses propriétés de remontée naturelle vers la surface, est conceptuellement tentant. En particulier, le principe consistant à utiliser un entonnoir souple permettant de canaliser le pétrole sortant de l'épave, est régulièrement évoqué en ce qui concerne le Prestige. Il méritait à plusieurs titres d'être étudié, notamment parce qu'il s'agissait d'une solution intuitivement simple.
Il faut néanmoins réaliser que le procédé, dont le principe paraît souvent évident, se heurte à nombre de difficultés techniques susceptibles compliquer sa mise en œuvre. Dans une zone où les risques de mauvais temps qui pourraient mettre à mal les moyens de surface ne sont pas négligeables, la tenue d'une cloche ou d'un entonnoir ne peut être garantie. De plus la mise en œuvre du procédé nécessite, outre une phase d'études préalable, de se doter de moyens de protection importants car en cas d'incident, le remède serait pire que le mal. C'est pour ces raisons qu'après avoir été envisagée, l'option a été rejetée pour le traitement de l'épave du cargo Peter Sif, au profit d'une libération contrôlée du fioul et d'une récupération en surface. Cela ne veut pas dire que l'exemple du Peter Sif, portant sur des quantités beaucoup plus faibles, à une profondeur bien moindre, soit adaptable au Prestige. Mais cela mettait en évidence que la bonne solution ne serait pas facile à trouver.
L'option alternative de couverture par un sarcophage, serait une solution sans aucun précédent : le seul exemple d'un projet comparable, la couverture par un catafalque de béton de la coque du car ferry Estonia, coulé en mer Baltique, envisagée après pompage de son fioul de propulsion non pas pour prévenir un risque de pollution mais pour protéger les corps prisonniers de l'épave contre toute tentative d'intrusion, a été abandonné
Voir aussi
Lettre technique du Cedre, Mer et Littoral, année 2004 : n°7
Lettre technique du Cedre, Mer et Littoral, année 2004 : n°6