La lutte en mer
La lutte des navires spécialisés au large de la Galice
Par sa durée, par les moyens engagés et par les quantités récupérées, la lutte en mer contre le fioul du Prestige n'a pas d'équivalent dans l'histoire de la lutte contre les marées noires. Elle fera nécessairement l'objet d'un retour d'expérience approfondi à la fois par ceux qui y ont participé et par tous les observateurs professionnels. Ce retour d'expérience va influer sur les choix stratégiques de nombre de plans de lutte nationaux et très certainement conduire à réaliser des investissements laissés en attente ou non prévus.
L'Ailette, bâtiment de soutien de haute mer équipé pour la récupération des hydrocarbures lourds, a été le premier navire antipollution à arriver sur zone, le 16 novembre : mobilisé dans le cadre du Biscaye plan, qui lie la France et l'Espagne à travers la préfecture maritime de l'Atlantique et SASEMAR, il est parti de son port d'attache (Brest) seulement quelques heures après la première observation de pollution. Il a pu ainsi récupérer 500 m³ de fioul dans un créneau météorologique lui permettant 7 heures de travail effectif, les 26 et 27 novembre. L'Alcyon, son sister ship, l'a rejoint le 25 novembre. Ces deux arrivées rapides ont confirmé l'intérêt des accords bilatéraux d'assistance mutuelle, qu'un simple appel téléphonique confirmé par fax ou courrier électronique suffit à mettre en œuvre.
Le système multilatéral d'assistance mutuelle géré par la Direction Générale Environnement de la Commission européenne a lui aussi fonctionné très vite dès son activation par les autorités espagnoles. Dès la fin novembre, l'Alcyon et l'Ailette ont été rejoints à l'ouest de la Galice par 5 navires spécialisés, le Rijn Delta, l'Arca (Pays-Bas), le Sefton Supporter (Royaume-Uni), le Neuwerk (Allemagne) et l'Union Beaver (Belgique). Une accalmie relative le 30 novembre leur a permis de récupérer près de 4000 tonnes d'émulsion et d'eaux huileuses.
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Six autres navires antipollution ont rejoint début décembre, le Gunnar Seidenfaden (Danemark), le Boa Master et le Farscout (Norvège), l'Acqua Chiara et le Tito, (Italie), le British Shield (Royaume-Uni).
En dépit de la très forte viscosité du polluant et de conditions météo-océaniques particulièrement défavorables, environ 16000 m³ d'émulsion ont pu être récupérés en mer au large de la Galice par cette flotte spécialisée entre le début des opérations et la fin décembre 2002.
La mobilisation des professionnels pour sauver les rias
Malgré tous les efforts déployés, comme dans toutes les marées noires importantes, la lutte à l'ouest de la Galice n'est pas parvenue à empêcher de premiers arrivages sur le littoral le 16 novembre, puis des arrivages massifs sur la " côte de la mort ". Des galettes et des plaques d'émulsion sont venues menacer les " rias bajas ". Exploitées par des milliers de petits pêcheurs côtiers et de ramasseurs de coquillages, celles-ci abritent l'essentiel de la mytiliculture galicienne, la première d'Europe. Les pêcheurs des rias et les mytiliculteurs se sont alors mobilisés face au risque, avec leurs embarcations et des moyens improvisés.
La mobilisation des pêcheurs dans la lutte en mer fait partie intégrante des plans de nombreux pays. Il y en a de multiples exemples dans l'histoire de marées noires. Les outils des plus utilisés à cet effet sont un large assortiment d'épuisettes à poche souple ou rigide, des dragues à coquillages modifiées et des chaluts de surface. Le résultat peut peser lourd dans les performances globale de la récupération en mer. En 1997, les bateaux de pêche engagés dans la lutte contre la marée noire du pétrolier Nakhodka en mer du Japon ont récupéré au total plus de fioul que les navires spécialisés.
Ce deuxième rideau de lutte devant le littoral galicien a été largement médiatisé, à juste titre, par la presse espagnole. Il a ainsi rassemblé le 16 décembre dans la baie d'Oia plus de 50 embarcations aux équipages munis de pelles, d'épuisettes et de cordes ostréicoles, assistées par un hélicoptère assurant leur guidage. Elles ont récupéré ce seul jour 40 tonnes d'émulsion, montrant la voie à d'autres volontaires pour un mouvement qui ne s'était encore jamais vu en Europe. Soutenu par les autorités, qui ont fourni le support aérien, des aides financières, le carburant, des vêtements de protection et la chaîne d'évacuation du polluant récupéré, le mouvement a donné un nouveau souffle à la lutte sur devant le littoral galicien. Il s'est poursuivi au long des semaines, à chaque nouvelle vague d'arrivages, avec la même détermination.
Graphique établi par le Cedre à partir de données produites par SASEMAR, par la Préfecture Maritime de l'Atlantique et par les autorités régionales espagnoles de Galice, des Asturies, de Cantabrie et du Pays Basque.
Quantités exprimées en tonnes, sur une équivalence entre le mètre cube et la tonne. On peut estimer le fioul net récupéré entre 35 et 40 % de ce qui apparaît ici.
La lutte dans le golfe de Gascogne
Les vents et les courants ont entraîné de nombreuses nappes de fioul dans le golfe de Gascogne, en zone de sécurité maritime (SECMAR) espagnole d'abord, puis en zone de sécurité maritime française. Les aléas de la météorologie ont alors fait circuler le fioul autour de la limite entre les zones économiques exclusives des deux pays. Les premiers arrivages sur le littoral français sont intervenus sur les plages landaises du secteur de Biscarosse. La Gironde, les Landes, les Pyrénées Atlantiques, le Pays Basque espagnol, la Cantabrie, les Asturies, ont été touchés au fil des semaines, les arrivages majeurs affectant les Landes et le Pays basque espagnol.
L'entrée du fioul dans la zone de sécurité maritime française à conduit le 30 décembre à couper la flotte antipollution européenne en deux. Certains navires sont restés au large des côtes de Galice et des Asturies, sous coordination de SASEMAR. D'autres sont passés dans la zone française, sous coordination de la préfecture maritime de l'Atlantique. Devant le fractionnement extrême du polluant, après presque deux mois de dérive, les autorités françaises ont complété les navires récupérateurs d'une deuxième ligne de lutte, basée sur l'utilisation de chaluts spécifiquement adaptés, tirés " en bœuf " (= par deux navires, remorqueurs ou bateaux de pêche). Ce n'était pas une innovation : la première mise en œuvre de chaluts de surface par des bateaux de pêche pour récupérer un fioul lourd date de la pollution du Tanio (1980). Il s'agissait alors d'un chalut expérimental développé par l'Institut Français du Pétrole. Les résultats obtenus furent suffisamment probants pour générer un programme de recherche et développement spécifique, puis des essais en mer, qui aboutirent à la conception du chalut Seinip dont plusieurs exemplaires furent approvisionnés par la Marine nationale pour ses stocks Polmar Mer.
Les arrivages de fioul sur la cote cantabrique espagnole sont venus ajouter à la lutte dans le golfe de Gascogne une nouvelle dimension : une mobilisation sans précédent des flottes de pêche basque, cantabrique et asturienne, avec des outils de récupération à main dérivés de ceux des petites embarcations côtières dans les rias, assez semblables à ceux utilisés par les pêcheurs japonais dans leur lutte contre la pollution du Nakhodka. Le nombre, la détermination et l'organisation de ces pêcheurs, les basques en particulier, ont changé la face d'une lutte en mer qui semblait tirer à sa fin au début du mois de février. Alors que les navires spécialisés ne trouvaient plus les concentrations de fioul nécessaires pour bien travailler, les bateaux de pêche ont trouvé l'émulsion dans un état parfaitement adapté à leurs outils et à leur pratique. La courbe de la récupération en mer a recommencé à progresser de manière significative. Selon les données que nous avons pu recueillir, le volume total récupéré par les bateaux de pêche a dépassé celui des navires spécialisés dès le début du mois de février.