La dérive des bouées
Certaines bouées ont cessé d’émettre plus ou moins rapidement, défaillantes ou ramassées par des mains inconnues. Quelques-unes ont continué à dériver et à émettre, fournissant des informations précieuses, qui ont été partagées jour après jour entre les organismes scientifiques et les responsables opérationnels français et espagnols. Ces informations ont été exploitées pour des synthèses techniques, publiées pour certaines sur Internet, en particulier sur le site d'AZTI.
Les mouvements de deux bouées larguées dans le front des nappes à la dérive dans le golfe de Gascogne montrent bien comment la pollution a largement circulé à travers le golfe, venant toucher successivement la quasi-totalité du littoral. La bouée n°16735 larguée au large le 29 décembre 2002 montre que les nappes concernées se sont dirigées vers les côtes aquitaine et basque, y déposant des boulettes et galettes en février, avant de repartir vers le centre du golfe puis de faire des allers-retours devant la côte des Asturies jusqu'à la fin mai, quand elle a cessé d'émettre. La bouée n°39 906, lâchée devant le bassin d’Arcachon le 27 février 2003, apporte un éclairage complémentaire : la vraisemblance que des boulettes arrivées devant la côte aquitaine sont remontées jusqu’aux environs de la pointe de Bretagne. Certaines ont pu ainsi entrer en Manche tandis que d’autres suivaient le même chemin que le fioul de l’Erika, en direction du Sud-Bretagne et des pays de Loire. Il est donc hautement vraisemblable que la quasi totalité du polluant du Prestige arrivé sur notre littoral provient de ce qui s'est déversé au naufrage et dans les jours qui ont suivi. Il est très probable que des boulettes de cette provenance circulent encore sur diverses zones du golfe de Gascogne, sans qu'il soit possible de les quantifier.
Les bouées n°40320, 40322, 40321 et 40319, larguées au niveau de l'épave respectivement les 5, 21 et 25 février et le 10 mars 2003, sont toutes parties d'abord vers le large avant de revenir pratiquement à leur point de départ, puis d'entamer un long voyage vers le sud. La bouée n°40324, larguée le 8 avril, a failli entrer dans le golfe de Gascogne avant de partir elle aussi vers le sud. Les bouées n°40317, 40318 et 40325, larguées respectivement les 21 mai, 21 juin et 27 août sont parties sans grande hésitation vers le sud. Toutes, donnent sous des formes différentes une même information : la pollution qui est arrivée sur le littoral français, cet été compris, provient bien plus vraisemblablement du naufrage que de fuites depuis le navire postérieures à fin février 2003. Le déplacement considérable des bouées vers le sud laisse plutôt penser que ce qui a suinté est aujourd'hui dispersé sur un espace maritime gigantesque, au large de la côte occidentale de la péninsule ibérique. Ce déplacement fait apparaître que le golfe de Gascogne aurait été épargné au moins jusqu'à l’automne si l'accident avait eu lieu en février 2003. Il montre aussi qu'une marée noire au large de la Galice entre février et mai pourrait avoir des conséquences lourdes pour les zones touristiques majeures que sont les Açores et les Canaries.
Au total, la présence de boulettes éparses du Prestige est possible aujourd'hui sur un espace maritime qui doit approcher le million de kilomètres carrés, avec une densité très faible (quelques centaines à quelques milliers de boulettes au plus par km2). Cela veut dire qu'une grande vigilance s'imposera encore pendant des mois dans la surveillance maritime de cette pollution, accompagnée d'une organisation à terre souple et mobile, capable de nettoyer aussitôt ce qui s'échouera sur un littoral ou un autre.