Connaissance du produit
Index :
- Composition chimique globale
Le produit
Le produit pétrolier transporté par le Prestige est un fioul lourd utilisé pour deux types d’applications : la combustion industrielle (centrales thermiques, fours, cimenteries) et l’alimentation des navires propulsés par des moteurs diesels lents, de grosse puissance. Les fiouls lourds sont les résidus de la distillation des pétroles bruts. Pour faciliter le mélange des résidus lourds de distillation, des coupes de distillation plus légères, appelées fluxant (" cutter stock ") sont parfois ajoutées.
Il existe en France quatre catégories de fiouls lourds, d'après les normes AFNOR NF M 15-010 à NF M 15-013 :
- Fioul lourd n°1 (fioul domestique)
- Fioul lourd n°2 HTS, haute teneur en soufre - teneur en soufre maximale : 4% (fioul de propulsion)
- Fioul lourd BTS, basse teneur en soufre - teneur en soufre maximale : 2%
- Fioul lourd TBTS, très basse teneur en soufre - teneur en soufre maximale : 1%
Le fioul transporté par le Prestige, répondant à la classification russe M-100, avec 2,58% de teneur en soufre est par ses caractéristiques un fioul lourd n°2. Sa dénomination en anglais est "fioul-oil n°6". C’est un produit très visqueux, considéré comme insoluble, ayant une odeur caractéristique de pétrole.
Le fioul a été analysé dans le laboratoire du Cedre. Deux échantillons ont été utilisés pour les analyses ci-dessous. Le premier, fourni au Cedre par les autorités espagnoles, a été prélevé sur la cargaison du Prestige ; il est nommé "échantillon de référence" dans la suite du document. Le second, "échantillon Ailette", a été prélevé en mer par le navire récupérateur de la Marine nationale "Ailette" le 18 novembre 2002. Diverses analyses ont été conduites pour mesurer les caractéristiques physico-chimiques de ce produit, évaluer son comportement en mer et sa persistance sur le littoral :
Caractéristiques | Source | |
Densité 15 °C | 0.993 | Certificat de qualité de Saybolt-Letonia |
0.995 | Mesure Cedre sur échantillon de référence | |
Viscosité 50 °C | 615 cSt | Certificat de qualité de Saybolt-Letonia |
Viscosité 15 °C | 30 000 cSt30 000 cSt | Mesure Cedre (à 10 s -1) sur échantillon de référence |
Point d'écoulement | + 6°C | Certificat de qualité de Saybolt-Letonia |
Il s'agit d'un produit très visqueux comme l'indique la courbe de viscosité - température ci-dessous (mesures réalisée à 1 s-1) ; en dépit des caractéristiques données par Saybolt-Letonia, cette courbe ne fait pas apparaître un point de figeage : quand le produit est descendu à des températures basses, (ex : 2,5 °C, température de l'eau à 3500 m ) il reste capable de fluer lentement sous l'effet d'une contrainte.
L'IFP a caractérisé le fioul du Prestige. Les résultats des analyses globales (distillation simulée et chromatographie gazeuse haute température) sont disponibles sur son site Internet.
Considérant le problème posé par le fioul présent dans l'épave du Prestige au large de la Galice par 3500 m de fond, l'Ifremer (Brest) a étudié en caissons d'essai sous pression la flottabilité du fioul en fonction de la profondeur d'immersion. Il en ressort, clairement, que le fioul présente une densité plus faible que l'eau qui l'entoure sur l'ensemble de la colonne d'eau (densité du fioul à 3°C et 350 bars, 1.012 contre 1.045 pour l'eau de mer à cette profondeur).
Composition, chimique globale
La teneur en eau du fioul vieilli en mer (de 5 à 7 jours avant sa récupération, échantillon Ailette) est de 45 %. Il a donc formé une émulsion avec pratiquement son poids d'eau.
Avec une viscosité de 100 000 cSt à 15°C (10s -1) et une densité mesurée de 1.01 cette émulsion reste compacte (nappes, plaques ou galettes) et à la surface de l'eau, voire sous la surface en cas de forte agitation.
Pour mémoire, celle de l'Erika, contenant 50% d'eau, était comparable : 60 000 cSt dans les même conditions.
La viscosité est un paramètre essentiel à prendre en compte lors du choix des techniques de lutte en mer et lors du nettoyage sur le littoral. Un produit lourd comme le pétrole du Prestige est un produit visqueux qui se volatilise peu dans l’atmosphère et se dissout peu dans l’eau.
Le produit a été séparé selon les quatre familles chimiques qui caractérisent un produit pétrolier :
- les hydrocarbures saturés ;
- les hydrocarbures aromatiques ;
- les résines ;
- les asphaltènes.
Hydrocarbures saturés (%) | Hydrocarbures aromatiques (%) | Résines (%) | Asphaltènes (%) | |
Muséum National d'Histoire Naturelle | 26.6 | 52.8 | 8.4 | 12.2 |
IFP (original) | 23 | 54 | 12.5 | 10.3 |
IFP (émulsion) | 21 | 54 | 27.7 | 27.7 |
CSIC Barcelone | 21.6 | 50.7 | 34.7 | 34.7 |
Les résultats des fractionnements dépendent des protocoles opératoires. Selon la nature et la polarité des solvants utilisés, les coupures entre les familles peuvent être sensiblement différentes, ce qui modifie leurs proportions relatives.
Hydrocarbures saturés (%) | Hydrocarbures aromatiques (%) | Résines (%) | Asphaltènes (%) | |
Prestige (moyenne) | 22.9 | 52.7 | 12.0 | 12.4 |
Erika | 22,2 | 55,6 | 15,6 | 6,6 |
Baltic Carrier | 40,9 | 37,9 | 11,5 | 9,7 |
La composition globale du fioul du Prestige est proche de celle de l'Erika pour les fractions saturées et aromatiques.
Le Museum National d'Histoire Naturelle a également analysé le même échantillon. Vous trouverez ici les résultats de ces analyses, publiés avec l'aimable autorisation du Museum.
Composés saturés
Le CID CSIC de Barcelone a réalisé des analyses par chromatographie en phase gazeuse couplée à une détection par spectrométrie de masse. La distribution des n-alcanes dans ces analyses montre que le produit est un mélange d'au moins deux coupes de raffinage. Ces résultats ont été confirmés par le Muséum National d’Histoire Naturelle, qui a également déterminé la répartition des différentes familles de composés saturés (n-alcanes : 2,15% ; iso-alcanes : 2,68% ; Unresolved Complex Mixture (UCM) : 18,6%).
Composés aromatiques
D'une façon générale, les composés aromatiques d'un hydrocarbure sont les composés potentiellement les plus toxiques (toxicité aiguë, effet mutagène). La figure ci-dessous présente les teneurs des composés aromatiques que l'on sait identifier et quantifier.
La figure ci-dessous illustre de façon comparative l’effet limité du vieillissement en mer sur la composition chimique : les répartitions des composés aromatiques dans le fioul de la cargaison (échantillon de référence), dans celui récupéré en mer par l'Ailette le 18 novembre 2002 ainsi que dans un troisième échantillon prélevé en mer le 25 janvier 2003 sont pratiquement identiques. Le vieillissement du produit n'affecte à ce stade que les composés les plus légers (les naphtalènes).
D'une manière générale, d'après l'échantillon analysé, le fioul du Prestige (échantillon Ailette) présente des teneurs plus faibles que celui de l'Erika pour les composés aromatiques.
L'Ifremer a largement analysé la fraction aromatique du fioul du Prestige. Les résultats sont disponibles sur le site Internet de l'institut.
De même que pour les composés saturés, le Muséum National d’Histoire Naturel a déterminé la répartition des différentes familles de composés aromatiques (pics résolus : 8% ; Unresolved Complex Mixture (UCM) : 43%).
Signature
Les identifications d’hydrocarbures dans l’environnement peuvent être effectuées par l’exploitation de résultats d’analyses effectuées en chromatographie en phase gazeuse couplée à une détection par spectrométrie de masse. Ceci ne peut être réalisé qu’à la condition de disposer d’un échantillon de référence, ce qui est le cas de la pollution du Prestige.
La caractérisation du pétrole de référence, considéré comme représentatif de la cargaison du Prestige, a été effectuée selon les recommandations du groupe de travail européen CEN BT/TF 120 Oil Spill Identification, celui-ci a entrepris depuis avril 2000 une révision de la méthode Nordtest, qui faisait figure de référence dans les pays scandinaves.
Le principe de cette méthode repose sur le calcul d’indices qui permettent d’établir le profil caractéristique d’un échantillon de référence. Ces indices dits de "diagnostic" sont déterminés à partir de l’analyse de composés aromatiques persistants, ainsi qu’à partir de familles de molécules particulières appelés biomarqueurs (la famille des hopanes illustrée ci-dessous en est un exemple).
Une fois la référence complètement caractérisée, le même travail est effectué pour les échantillons inconnus et les indices respectifs comparés. La figure ci-dessous illustre la corrélation établie entre un échantillon prélevé en mer et le fioul de référence du Prestige (la droite correspond à une corrélation parfaite).
Le Cedre tient à la disposition de tout laboratoire intéressé une copie de la signature schématisée ci-dessus, pour l'échantillon de cargaison qu'il a analysé (échantillon de référence). Nous avons à ce stade aucun élément permettant d'affirmer que certaines cuves du navire aient contenu un fioul différent.
Transfert à l'eau
L'IFP a étudié le transfert à l'eau des hydrocarbures du Prestige en le comparant avec celui de l'Erika.
Dangerosité
Suite aux multiples questions sur le sujet, et en particulier aux interrogations de bénévoles devant différents articles de presse, nous avons demandé dès les premiers arrivages à terre en Galice un avis au Dr Alain Baert (Centre anti-poison de Rennes). Cet avis d'un expert travaillant régulièrement avec nous n'était en aucun cas une prise de position des autorités françaises, mais seulement une première information à l'usage de ceux qui sont sur le terrain.
Note du Dr Baert (29 novembre 2002)
L'Institut de Veille Sanitaire a ensuite mis en ligne une note relative à la prévention des risques sanitaires concernant l'organisation éventuelle de chantier de dépollution. Cette note présente les principaux résultats des études réalisées après le naufrage de l'Erika et donne des recommandations applicables au fioul déversé par le Prestige.
Le ministère de la santé, dans une circulaire datée du 2 avril 2003 (Circulaire DGS/SD7A n°2003/166) a donné également des recommandations sanitaires à respecter lors des opérations de lutte anti-pollution.
L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) a rendu public un avis relatif à l'évaluation des risques sanitaires qui pourraient résulter de la contamination des produits de la mer destinés à la consommation humaine suite au naufrage du pétrolier Prestige.
Comportement en mer
Les propriétés importantes qui influencent le comportement d’un produit pétrolier déversé accidentellement en mer sont :
- sa volatilité ;
- sa solubilité ;
- sa tendance à former des émulsions ;
- son aptitude à se dégrader.
Une expérimentation a été lancée dans le Polludrome® du Cedre le 25 novembre 2002 pour étudier le comportement en mer de ce fioul lourd, caractériser les émulsions et évaluer différentes techniques de traitement.
L’échantillon utilisé au Polludrome® est le fioul lourd récupéré en mer par l’Ailette. Il s’agit d’un hydrocarbure prélevé après passage dans un récupérateur relié à une pompe.
Ses caractéristiques initiales sont :
- Viscosité : 79 000mPa.s à 16°C et à 10 s-1
- Teneur en eau : 46%
Conditions environnementales au Polludrome® dont les paramètres utilisés :
- Volume d’eau de mer : 10 m³
- Température de l’air : 16°C
- Hauteur de vague : 25 cm
- Vitesse du vent : 3m/s
- Vitesse du courant : nulle
- Les lampes UV ne sont pas allumées pendant l’essai.
Procédure d’échantillonnage : L’essai a débuté le 25 novembre 2002. Le volume déversé est de 45 litres environ. La durée du test est de 167 heures.
Échantillon | T1 | T2 | T3 | T4 | T5 | T6 | T7T7 | T8 | T9 | T10 | T11 | T12 | T13 |
Temps (heures) | 1 | 2 | 4 | 6 | 12.5 | 22 | 24 | 28 | 46 | 51 | 70 | 94 | 167 |
Mesures :
Viscosité : La viscosité des échantillons prélevés est mesurée à l’aide d’un viscosimètre Haake VT 550 à différents gradients et à 16°C.
Densité : La densité est mesurée selon la norme NF T 66 007.
Teneur en eau : La teneur en eau est mesurée selon la norme NF T 30 113. Ce test nous donne les teneurs en eau réelles des échantillons.
Tests désémulsifiants : Les tests désémulsifiants sont utilisés afin de mettre en évidence la stabilité de l’émulsion après ajout de désémulsifiant (taux d’application de 0.1%) et d’évaluer l’efficacité d’un panel de désémulsifiants sélectionnés lors d’études précédentes.
Évolution des paramètres physico-chimiques :
Conclusion :
Le fioul du Prestige, lors de l’essai en Polludrome®, augmente sensiblement en viscosité et en densité (la teneur en eau finale est de 60% contre 45% initialement). Le produit reste très homogène et n’a montré aucune prédisposition particulière à la fragmentation. Le produit demeure en surface ou légèrement en-dessous de ce niveau. Il semble donc que ce produit puisse se retrouver dans la colonne d’eau sous l’effet de faibles contraintes, celles générées par un courant côtier pouvant en être un exemple.
Persistance du fioul
Afin d'évaluer la persistance du fioul du Prestige dès lors qu'il souille un littoral rocheux, une expérimentation in situ a été lancée le 26 novembre 2002. Des plaques de granite, enduites les unes de l'émulsion du Prestige prélevée en mer par l'Ailette, les autres d'émulsion de l'Erika ont été directement exposées à la houle sur un site expérimental en rade de Brest. Un échantillonnage régulier a permis, d'évaluer la quantité de fioul persistant et ainsi mesurer l'efficacité de l'autonettoyage.
Résultats (septembre 2003) :
On note une plus importante adhérence au départ, significativement plus importante pour 3 échantillons, pour le fioul de l’Erika (10.24 +/- 0.57g) que pour celui du Prestige (3.65 +/- 0.01g). Dans de précédentes expérimentations réalisées avec du fioul original de l’Erika (teneur en eau 0%), les résultats de la pollution des plaques étaient de 5.26 +/- 0.31g soit donc, pour un produit contenant 50% d’eau, une adhérence doublée ici.
Une explication possible réside dans la durée de conservation de l’émulsion de l’Erika. En effet, le vieillissement statique d’une émulsion entraîne une décantation des gouttelettes d’eau libre emprisonnées, ce qui éliminerait en particulier la présence d’un film d’eau à la surface du produit, et par conséquence, augmenterait l’adhésion immédiate de ce dernier sur les substrats.
Malgrè des quantités initiales différentes, la remobilisation est similaire en proportion pour les 2 produits : perte de 32% du fioul de l’Erika contre 28% pour le Prestige.
Observations :
En complément à la persistance du fioul du Prestige avec celui de l’Erika, quelques observations intéressantes ont pu être réalisées au cours de cette expérimentation, ouvrant la voie à de nouveaux sujets d’études.
En particulier une recolonisation des plaques principalement par des balanes a été observée à partir du mois de juin 2003 (7 mois après le début de l’expérimentation).
La plaque polluée avec du fioul de l’Erika est apparue nettement moins colonisée que la plaque Prestige. De plus, une partie de la surface de la plaque Erika a été « réouverte » par remobilisation d’une partie du fioul ; les balanes sont immédiatement réapparues sur cette surface.
Autres études
En dehors des 2 échantillons qui ont servis à l'essentiel des analyses, d'autres échantillons continuent de nous parvenir. Certains ont été partagés avec d'autres laboratoires (IFP, Lasem et Ifremer) pour des analyses complémentaires. Des échanges et confrontations de données sont également en cours avec le CECID (Vigo) et le CID CSIC à Barcelone.
Le tableau archives des échantillons et des analyses recense toutes les analyses d'échantillons reçus par le Cedre dans le cadre de la pollution du Prestige et analysés par ses soins. Les résultats des analyses juridiques ont été communiqués au procureur, seul habilité a les rendre publics.
Vous pouvez télécharger ici la liste non exhaustive des laboratoires pouvant éventuellement effectuer l'identification des échantillons de fioul collectés dans l'environnement.