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Fénès

Nom
Fénès
Date de l'accident
25/09/1996
Lieu
France
Zone du naufrage
Iles Lavezzi, Corse
Zone du déversement
Pleine mer
Cause de l'accident
Echouement
Quantité transportée
2 650 tonnes
Nature polluant
Blé
Quantité déversée
2 500 tonnes
Type de navire / structure
Céréalier
Date de construction
1970
Longueur
86 m
Largeur
12,4 m
Tirant d'eau
6 m
Pavillon
Panaméen

Le problème des produits alimentaires

Comme tous les autres produits transportés par voie maritime, des produits alimentaires se retrouvent occasionnellement déversés au large ou sur les côtes, à la suite d'un abordage, d'un naufrage ou d'un échouement.

Parmi de multiples exemples, on citera ici pour mémoire :

  • les 1500 tonnes d'huile de tournesol déversées sur le littoral d'Anglesey (Royaume-Uni) par le naufrage du cargo maltais Kimya en janvier 1991 ;
  • la cargaison de riz du cargo Weisshorn se répandant devant l'estuaire du Guadalquivir (Espagne), au fur et à mesure de la dislocation du navire échoué sur un haut fond pendant l'hiver 1992-93 ;
  • les 400 tonnes de riz complet pourrissant sur le récif de corail du parc marin de Curaçao au cours de l'été 1995, à la suite de l'échouement du cargo Infiniti ;
  • les 900 tonnes d'huile de palmiste dérivant vers les îles anglo-normandes, la première semaine d'octobre 1997, après l'abordage du vraquier libérien Allegra en Manche.

Quand il n'y a pas eu mort d'homme, la première réaction à l'annonce de ces accidents est une expression de soulagement : c'est malheureux pour l'assureur, mais les poissons vont se régaler.

L'analyse est naturelle, mais pas tout à fait exacte. Les poissons sont loin de se précipiter sur ces nourritures en nombre suffisant pour éliminer des centaines de tonnes déversées en masse, même au terme de plusieurs mois. Le produit va donc être plus ou moins largement transporté par les courants, évoluer selon sa nature (émulsification, rancissement, polymérisation, fermentation...) et en tout état de cause se putréfier, générant une prolifération bactérienne et des dégagements gazeux, donc polluer.

L'accident du Fénès

C'est ce genre de situation qu'a vécu la réserve naturelle des îles Lavezzi (bouches de Bonifacio) après l'échouement du céréalier panaméen Fénès, le 25 septembre 1996, sur l'île même où la frégate la Sémillante, en route pour Sébastopol, s'était fracassée le 15 février 1855 avec 773 hommes à bord, dont aucun ne fut sauvé.

Il n'y a pas eu mort d'homme cette fois-ci, ni même de pollution par hydrocarbures, grâce à la réaction rapide de la Préfecture Maritime de la Méditerranée et de l'assureur du navire. Le fioul de propulsion et les huiles du navire furent enlevés dès le 10 octobre. Mais les tempêtes de l'automne éventrèrent peu à peu le Fénès et sa cargaison se déversa autour de lui dans une crique d'éboulis rocheux, profonde d'une dizaine de mètres.

Les conséquences

Sur un peu plus d'un hectare, un herbier dispersé de posidonies (espèce protégée depuis 1988), les algues et animaux sessiles se retrouvèrent enfouis sous des dizaines de centimètres voire plusieurs mètres de blé. Les responsables de la réserve des îles Lavezzi s'en inquiétèrent très logiquement, craignant un impact à terme pour l'environnement. Relayée et amplifiée par des expressions de colère d'élus et d'associations mobilisés depuis longtemps sur le problème des risques de la navigation dans les bouches de Bonifacio, cette inquiétude atteignit vite dans la presse régionale la qualification de « cancer sous la mer ».

Il fallait agir, enlever non seulement l'épave mais aussi le blé. Pour la Préfecture Maritime de la Méditerranée, responsable au titre de l'instruction Polmar de prendre ou faire prendre les mesures nécessaires pour faire cesser le risque de pollution en mer, en faisant dans toute la mesure du possible réaliser et payer les travaux par l'assureur du navire, ce n'était pas gagné d'avance. La Préfecture Maritime, s'appuyant sur l'expertise technique du Cedre, dut développer pour parvenir à ses fins une stratégie qui n'avait aucun exemple antérieur auquel se référer.

La réponse en mer

Il fallut d'abord lever des accusations non fondées. Le blé, d'origine française et faisant l'objet d'une aide alimentaire à l'Albanie, avait été chargé à Port-la-Nouvelle. Il n'avait pas été aspergé avant chargement de 250 litres de pesticides bioaccumulables comme annonça un scientifique, ce qui mettait en doute sa qualité alimentaire et justifiait un enlèvement d'urgence pour protéger la faune et la flore marines, mais de 15 kg de pesticides biodégradables à demi-vie dans l'eau ne dépassant pas quelques jours, dilués dans 250 litres d'huile végétale, pour limiter les poussières et prévenir une éventuelle infestation par des charançons. Des mesures devaient être prises, mais sans qu'il y ait urgence, ni évidence de pollution au départ.

Le 13 octobre, des travaux de renforcement du navire étaient entamés en vue d'un enlèvement global. Le 16 octobre, un fort coup de vent plia la coque et les 11 ouvriers qui travaillaient à bord durent être hélitreuillés par un hélicoptère de l'Armée de l'Air, dans des conditions difficiles. Le 20 octobre, une inspection du navire montra à l'armateur qu'une découpe et un enlèvement en plusieurs morceaux étaient devenus la seule solution envisageable, cela fut accepté par la Préfecture Maritime le 23 octobre.

Dès le 31 octobre, l'armateur reconnut que l'enlèvement du blé était techniquement faisable. Il restait à en justifier la nécessité. Dans le cadre de la législation française, cela impliquait qu'il y ait pollution, ou au moins que le blé déversé soit qualifiable de déchet. La situation de pollution fut formellement établie par une cellule de concertation scientifique, réunie le 14 novembre à la Préfecture Maritime et animée par le Cedre. Le 20 novembre, une réunion opérationnelle avec l'armateur fixa les détails techniques de l'opération. Le 28 novembre, la barge et l'équipement nécessaire arrivèrent sur site.

Les participants à la réunion de concertation scientifique du 14 novembre s'étaient vite entendus sur la technique à employer pour l'enlèvement du blé (suceuses manipulées par plongeurs). Ils s'étaient aussi entendus sur jusqu'où réaliser cet enlèvement pour ne pas causer de dommages supplémentaires (jusqu'à réapparition des parties supérieures de la flore du fond) et sur le contrôle des travaux (par les plongeurs de la réserve).

Il leur fut moins facile de s'entendre sur la destruction du blé et de l'eau souillée qui seraient pompés (8 à 10 fois le volume du blé), entre un égouttage ou non sur site, un rejet au large ou un transport à terre pour incinération dans un centre aux normes, impliquant un trajet routier de Bonifacio à Corte.

Une réunion interministérielle et une analyse de bilan écologique global conduisirent finalement les scientifiques et le ministère de l'Environnement à accepter comme un moindre mal la réimmersion au large de blé non contaminé par du gas-oil, hors du périmètre de la réserve, selon des normes opératoires calculées pour éviter de déverser plus d'un kg de blé par m² de fond.

 Les opérations de pompage commencèrent le 4 décembre, le blé étant égoutté par un système de passoire dans un flexible évacuant les eaux souillées hors de la crique. Le premier déversement, sur des fonds de plus de 300 m, à vingt milles au large, sous contrôle de la Marine nationale, fut réalisé le 7 décembre.
 
 Des dégagements importants d'hydrogène sulfuré et une présence significative de méthanol et d'éthanol, affectant le matériel et le personnel, conduisirent la Préfecture Maritime à interrompre les opérations le 20 décembre pour raisons sanitaires. L'activité reprit le 27 décembre, après réception de masques et filtres pour le personnel de la barge, de protections faciales et de gants pour les plongeurs.
 
 Le 13 janvier, après 10 opérations d'emport et de déversement au large, pour une quantité totale estimée aux environs de 2 500 tonnes de blé humide, représentant autour des trois quarts du chargement du Fénès, la Préfecture Maritime donna acte d'achèvement des travaux à l'armateur, sur proposition des plongeurs de la réserve. L'objectif de base était atteint et, sauf formation par la houle et les courants de nouveaux amas pendant l'hiver, il n'y avait plus lieu de réaliser de nouveaux pompages de blé.
 
 Les priorités se tournèrent alors vers l'enlèvement de l'épave et des débris répandus sur le fond, entre 8 et 20 m de profondeur, et sur quelque 500 m de littoral. Programmés après les tempêtes d'hiver, ces travaux furent menés avec succès entre le 10 avril et le 10 mai 1997. L'armateur demanda une autorisation de réimmersion des débris au large. Elle lui fut refusée et les débris furent emportés vers un chantier naval grec.
 
 Le facteur de pollution ayant été éliminé, la responsabilité de la Préfecture Maritime en vertu de l'instruction Polmar était alors arrivée à son terme. Il restait à suivre et à quantifier l'impact de l'accident sur la faune et la flore de la zone directement affectée par la masse de blé et sur les espaces environnants.

Le suivi de la pollution

En accord avec la Préfecture Maritime et le Ministère de l'Environnement, le laboratoire d'environnement marin de l'Université de Nice, dirigé par le conseiller scientifique de la réserve, prit en charge le suivi de l'impact sur la faune et la flore macroscopiques. Le Cedre, qui avait étudié de près le problème de la fermentation du blé et des dégagements massifs d'hydrogène sulfuré générés par une multiplication de bactéries sulfato-réductrices, prit en charge le suivi de la dégradation du blé subsistant et de l'évolution bactériologique de la zone touchée.

Ces travaux ont permis d'établir la cinétique de dégradation complète du blé, l'évolution de la pollution bactériologique des fonds, l'échéance de rétablissement de la faune et de la flore, en particulier des populations de posidonies.

Le suivi écologique a fait apparaître un impact notable sur 8 hectares dont une atteinte sévère sur 3,9 hectares avec, entre autres, destruction de 2 500 m2 d'herbiers de posidonies. C'est donc un effet indubitable, mais heureusement localisé et géographiquement modeste en regard des 10 000 hectares de la réserve marine.

Conclusion

Ces différentes étapes, relatées ici de manière factuelle, n'ont pas été le résultat d'un parcours simple et tranquille. Les réunions entre parties concernées ont été nombreuses, parfois tendues. Ni les représentants de la Préfecture Maritime, jusqu'au Préfet Maritime lui-même, ni ceux de l'armateur, n'ont échappé à des interventions parfois critiques de ceux dont ils défendaient les intérêts.

L'assureur du navire a pu trouver quelque peu dur de se voir refuser le droit de réimmerger au large les débris du Fénès quand la télévision nationale montrait au même moment une immersion de navire de pêche désarmé en Bretagne. Mais le contact n'a jamais été rompu entre les parties en présence et la Préfecture Maritime a réussi à obtenir pour la première fois en France, par une action à la fois rigoureuse et raisonnable, au plan technique comme au plan juridique, qu'un armateur assume jusqu'au bout ses responsabilités d'élimination du facteur de pollution dans un déversement de produit alimentaire en mer.

Dernière modification le 14/10/2002

Voir aussi

Bulletin d'information du Cedre, N° 21 : "Le traitement des épaves potentiellement polluantes", p. 4

Bulletin d'information du Cedre, N° 9 : "Une pollution marine par produit alimentaire", p. 15

Liens externes

Base de données CIIMAR : informations sur le comportement des substances impliquées, en anglais

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