Les sargasses
L'ADEME a confié au Cedre « une mission d’expertise en Guadeloupe concernant les arrivages massifs d’algues sargasses ».
Résumé de nos connaissances à ce jour.
Il existe de nombreuses similitudes entre les protocoles de reconnaissances des sites, la mise en place et le suivi des chantiers, les différentes techniques de la chaîne de collecte, transport et stockage des hydrocarbures propres à l’organisation POLMAR-Terre et les problématiques rencontrées à l’occasion des arrivages massifs de sargasses. C’est dans ce contexte que l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) a confié au Cedre « une mission d’expertise en Guadeloupe concernant les arrivages massifs d’algues sargasses ».
Les sargasses
Les sargasses sont des algues brunes marines, de la famille des Sargassaceae proches de nos Fucus européens. Il existe plusieurs centaines d’espèces dans le genre Sargassum. Le mot même de «sargasse» vient de l’italien sargazzo ou de l’espagnol sargazo qui signifie varech. Leurs frondes peuvent atteindre plusieurs mètres de long (jusqu'à 12 mètres pour certaines espèces tropicales). Elles sont généralement fixées au fond par un thalle dit « coriace », mais quelques espèces, dont Sargassum fluitans et Sargassum natans vivent de manière exclusivement flottante. Elles sont très répandues notamment au large des côtes de Floride dans la mer dite des Sargasses et s’accumulent pour former de véritables îles flottantes, appelés radeaux. La mer des Sargasses, seule mer considérée comme ne possédant pas de rivages, localisée au centre de grands courants océaniques, appelés gyres océaniques, se caractérise par une absence de vagues et de vent et concentre algues et déchets à la dérive. Elle est connue pour jouer un rôle important dans la migration des anguilles européenne et américaine : les larves des deux espèces y croissent, pour se diriger ensuite vers les côtes de l'Europe et de l'Est de l'Amérique du Nord ; une vingtaine d'années plus tard, elles essayent d'y retourner pondre leurs œufs. Outre les anguilles, elle rassemble une faune très riche.
Les évolutions depuis 2011
En 2011 une première vague d’échouages, sans précédents, touche la zone Caraïbe. Depuis le phénomène tend à persister. L’année 2015 avait enregistré des arrivages importants (60 000 tonnes en Martinique et 50 000 tonnes en Guadeloupe avaient été ramassées) mais l’année 2018 est en passe d’atteindre des valeurs encore inégalées. Les observations satellitales montrent que ces arrivages ne proviennent pas de la mer des Sargasses mais trouvent leur source au large du Brésil dans ce qui est appelé maintenant « la petite mer des Sargasses ». Ce phénomène semble lié aux apports en nutriments (phosphate et nitrate) en provenance des fleuves Amazone et Orénoque (document en anglais) dont les bassins versants font l’objet d’une agriculture intensive et d’un lessivage des sols plus important, suite à la déforestation croissante de la forêt amazonienne. Mais d'autres facteurs, dont un changement éventuel de courants marins au sein de la circulation thermohaline dans la « zone de recirculation nord-équatoriale » ou «NERR» (North Equatorial Recirculation Region), la destruction des mangroves de l'embouchure de l'Amazone et de l’Orénoque qui permettaient auparavant de retenir une grande partie des nutriments provenant des fleuves, voire le phénomène « des envols de poussière du Sahara » (riches en fer et phosphates), pourraient aussi favoriser le développement de ces « radeaux » dérivant vers les Caraïbes. Les fortes pluies liées aux effets de La Nina venant augmenter périodiquement la lixiviation des sols du bassin de l’Amazone, couplées à une augmentation des températures, pourraient également expliquer les poussées exceptionnelles. Les conditions de développement de ces algues restent néanmoins encore peu connues, il n’est donc pas possible actuellement d’estimer l’évolution dans le temps de ce phénomène.
Hors années records, les arrivages se manifestent de façon saisonnière en commençant en février pour augmenter régulièrement jusqu’en juillet pour décroitre ensuite en août, avec l’arrivée de la période cyclonique, jusqu’en octobre.
Dans la littérature, il est mentionné qu’en 1864 ont eu lieu dans le Golfe du Mexique, les premiers échouages importants d’algues sargasses.
Ces arrivages massifs n’affectent pas uniquement les Antilles françaises mais touchent également la Guyane, l’arc Caribéen, les pays du golfe du Mexique et les côtes ouest de l’Afrique…
Les méthodes d’observation et de prévisions de dérive et d’échouement
Les observations de sargasses se font par moyens nautiques, aériens et par satellites.
Prévisions d’arrivages à court terme
En Guadeloupe, par exemple, la DEAL fait établir, de façon hebdomadaire, une prévision des arrivages de radeaux de sargasses à partir d’un traitement d’images satellites.
Depuis le mois de juillet 2018 Météo France a ajouté un module "Sargasse" au modèle MOTHY. C’est une extension du module "Hydrocarbures" permettant de suivre des particules en surface et dans la couche des 30 premiers centimètres sous la surface.
Observations satellitales à grande échelle
L’université de Floride du sud (USF, site en anglais) réalise mensuellement depuis 2011 un traitement d’images MODIS (Moderate Resolution Imagery Spectrometer), principal senseur à bord des satellites NASA EOS (Earth Observation System) qui montre très clairement le pic de 2015 et les records atteints en 2018.
Une application (en anglais) initialement destinée aux navigateurs participant à des courses au large fournit quotidiennement une image, issue d’observations satellites, des radeaux de sargasses dans la zone.
Le comportement des sargasses échouées sur le littoral
Le comportement des sargasses qui arrivent sur le littoral varie en fonction des volumes concernés. En période d’arrivages faibles, on trouve : des sargasses fraîches qui flottent (de couleur vert clair), des sargasses fraîches échouées en bordure de plage formant un petit andain et des sargasses sèches qui se fragmentent peu à peu en arrière plage. Leur couleur évolue ensuite du vert au marron très foncé en fonction du degré de vieillissement/dessiccation. Lors d’arrivages massifs les importantes accumulations dans l’eau, à terre ou dans les mangroves favorisent le tassement et limitent l’accès à l’oxygène, ce qui entraine une dégradation anaérobie avec émission d’H2S (Sulfure d’hydrogène) notamment dégageant une odeur caractéristique d’œuf pourri.
Les impacts
Impacts sanitaires
En octobre 2015 l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a été saisie pour la réalisation d’une expertise relative aux émanations issues d’algues sargasses en décomposition dans les départements français d’Amérique. Dans son rapport publié en mars 2017, le comité d’experts spécialisés souligne que les observations et les connaissances actuelles sur les émissions / risques sanitaires liés à la dégradation des algues sargasses après échouage sont suffisantes pour la mise en place dès à présent de mesures de prévention. Elles portent principalement sur la limitation de l’exposition du public et celle des travailleurs impliqués dans les opérations de nettoyage (détection des seuils d’alarme en H2S, port d’EPI adaptés, distance de travail…).
Impacts environnementaux
Les arrivages massifs dégradent la qualité physico-chimique des eaux côtières, générant des mortalités d’organismes marins (baisse d’oxygène dissous, de pH, augmentation de la turbidité, libération de divers contaminants (Ex : l’arsenic (As)) et de produits toxiques (H2S)). Ils créent également un écran à la photo synthèse, une barrière ou un piège pour de nombreuses espèces animales (tortues, poissons…) et les macro déchets et ont un effet impactant sur le corail.
Les opérations de nettoyage mécanique peuvent également générer des impacts environnementaux liés à la circulation des engins et à l’enlèvement important de sable qui risque de créer des problèmes d’érosion.
Impacts économiques
Ils se traduisent par une réduction de l’attractivité et des activités touristiques, localement par une entrave à la pêche artisanale et au transport maritime, la dégradation de biens et par voie de conséquence, une baisse du chiffre d’affaires.
Les techniques de lutte
Le ramassage peut être réalisé à partir de la mer en utilisant par exemple une pelle mécanique, équipée d’un grappin de collecte, montée sur un ponton flottant. Il existe également, pour les algues fraîches, des équipements plus spécifiques utilisant des techniques de pompage ou de récupération par bande transporteuse issus de pratiques maritimes ou agricoles. La difficulté principale de la mise en œuvre de ces techniques, outre la formation nécessaire des personnels, réside principalement dans la chaine de stockage, transport et élimination des algues collectées.
En fonction des volumes concernés, de l’état des algues et de leur stade de vieillissement, du type de substrat (sable, rochers…), de l’accessibilité au site, de la sensibilité environnementale, etc., le ramassage sur le littoral sera manuel ou mécanisé ou mixte (par exemple : mise en andains manuelle complétée d’un ramassage mécanique de ces derniers).
La chaine de stockage primaire, transport, stockage intermédiaire ou finale, élimination/valorisation fera l’objet d’une réflexion amont dans la mesure où l’entassement des algues peut générer une dégradation anaérobie, source de production d’H2S notamment.
Compte tenu des risques sanitaires et environnementaux susceptibles d’être engendrés par la dégradation des algues, une attention particulière sera portée à l’organisation des chantiers (site de travail, base vie...), la protection des personnels d’intervention et des populations avoisinantes (équipements de détection, EPI, premiers secours et suivi médical, balisage des zones…). Enfin compte tenu des conditions d’utilisation en milieu salin et parfois corrosif, l’entretien et la maintenance des équipements de travail et de sécurité seront suivis avec soin et régularité.
Un enjeu régional pour la Caraïbe
Le Centre d’Activités Régional pour les espèces et les espaces spécialement protégés de la grande région Caraïbe (CAR –SPAW) est hébergé par le Parc national de la Guadeloupe et financé par le Gouvernement Français. Le CAR-SPAW travaille sous l’égide de l’Unité de coordination régionale du Programme des Nations Unies pour l’Environnement basée à Kingston (Jamaïque) pour mettre en œuvre le protocole SPAW relatif à la protection de la biodiversité marine et côtière dans la grande région Caraïbe, depuis le Golfe du Mexique jusqu'à la mer des Antilles.
Depuis le début de l’année 2015, le CAR-SPAW et le Secrétariat SPAW du Programme pour l’Environnement des Caraïbes (PNUE-PEC) ont identifié plusieurs initiatives sur la thématique des sargasses dans la Caraïbe et en Afrique de l’Ouest (autre région touchée par le phénomène) et ont mis en évidence un besoin d’information et de coopération à l’échelle régionale sur cette problématique.
Dans ce contexte, le CAR-SPAW a initié une coopération régionale sur la thématique des Sargasses portant notamment sur les sujets suivants :
- compréhension du phénomène ;
- évaluation des impacts ;
- méthodes de collecte et de valorisation.
Lancé en août 2015, le forum régional de discussion en ligne sur la problématique d’arrivées massives de sargasses est un outil de communication au service des acteurs concernés par la gestion et la recherche sur la problématique des sargasses dans la Caraïbe et en Afrique de l’Ouest (sargassum.forum@gmail.com).
Les travaux scientifiques en cours
Depuis 2011 et les premiers arrivages massifs de sargasses de nombreux travaux scientifiques ont été lancés.