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Tentative de sauvetage

Le mercredi 13 novembre 2002 à 14h50, le pétrolier Prestige, battant pavillon des Bahamas, émet un MayDay au large du cap Finisterre (Galice, Espagne). En avarie machine avec une forte gîte, il n'est plus maître de sa manœuvre et dérive au gré des conditions météo-océaniques. L' équipage est hélitreuillé, à l'exception du capitaine, du second et du chef mécanicien. Le Prestige a chargé 77 000 tonnes de fioul lourd au terminal de Ventspills, Lettonie et peut-être avant à Saint Pétersbourg. Il se rendait vraisemblablement à Singapour avec escale à Gibraltar. A 17h, une observation aérienne dépêchée par les autorités espagnoles met en évidence une fuite de pétrole en mer.
 
Le fioul lourd M-100 (terminologie russe) transporté par le Prestige s'avère être le même type de produit que celui déversé par le Baltic Carrier, en mars 2001, au Danemark. Il se caractérise par une densité relativement élevée, proche de celle de l'eau (0.9753) et une forte viscosité initiale (615 centiStockes à 50°C). Il montre, par ailleurs, une très faible tendance à l'évaporation et à la dispersion naturelle. De plus, à l'instar du fioul n°2 (FO2) de l'Erika et du M-100 du Baltic Carrier, il tend à se mélanger avec l'eau de mer pour former une émulsion extrêmement visqueuse.

Caractéristiques du fioul du Prestige (Source Crown Resources AG)

Densité à 15°C

0,993

Viscosité à 50°C

615 cSt

Viscosité à 80°C

103,5 cSt

Point d'écoulement

+ 6°C

Teneur en asphaltènes

6,80 %

Teneur en soufre

2,58 %

Le 13 au soir, les remorqueurs Ria de Vigo, Alonso de Chaves, Charuca Silveira et Ibaizabal I de SASEMAR (organisme en charge du sauvetage en mer et de la lutte antipollution) se dirigent vers la zone de l'accident. Le système de remorquage d'urgence du navire ne fonctionne pas et les tentatives de prise en remorque échouent au cours de la nuit.
 
Le 14 au matin, la prise en remorque réussit finalement, évitant l'échouement du pétrolier, qui s'était significativement rapproché des côtes au cours de la nuit. Le fioul déversé forme un chapelet de nappes s'étendant sur 20 milles de long. SASEMAR a sollicité Météo France pour des prévisions de dérive des nappes. Le Biscaye Plan, plan d'intervention franco-espagnol en cas de sinistre en Atlantique, est déclenché à midi. Des moyens nautiques et aériens de la Marine nationale et des Douanes françaises sont immédiatement mis à disposition de SASEMAR. Le remorqueur de haute mer de la Marine nationale « Ailette », équipé de moyens antipollution adaptés à la récupération de pétrole visqueux (Transrec 250, Hiwax) appareille à 20 h et se dirige vers le Cap Finisterre. Le Président de la CEPPOL (commission d 'études pratique de lutte antipollution de la Marine nationale) et un ingénieur du Cedre participent à cette mission. En fin de journée, la gîte a été réduite mais le bateau continue à fuir.

Le 15 novembre au matin, le pétrolier a été remorqué à 60 nautiques des côtes espagnoles. Le convoi fait route vers le Sud à 2 nœuds. Le Prestige a une déchirure de 35 mètres de long sur son flanc droit. La société Smit Salvage, pressentie par l'armateur pour son sauvetage, est sur place.
L'observation aérienne met en évidence un chapelet de nappes de quelques mètres à 2 milles de long, échappées du navire la nuit du 13 au 14. Les plus proches se situent de 7 à 15 milles des côtes, dans l'ouest et le nord du cap Finisterre, entre les îles Sisargas et la Ria de Muros. Les vents portant au Sud Sud-Est, elles pourraient toucher terre dans les 48 heures à venir.

Le 16 novembre au matin, le pétrolier est à 50 nautiques du Cap Toriñana. Le convoi fait route vers le Sud à 1,5 nœuds. La déchirure observée la veille mesure désormais 53 mètres.
Les premiers arrivages à la côte sont observés dans la matinée en divers endroits, entre la Corogne et le cap Finisterre. Un Poste de commandement opérationnel a été mis en place à La Corogne.
La coopérative britannique de lutte antipollution OSRL (Oil Spill Response Ltd) a été contractée par SASEMAR pour intervenir sur le littoral.
 
Le 17 novembre au matin, le convoi se trouve à environ 75 milles marins à l'ouest du cap Finisterre. Les reconnaissances aériennes indiquent la présence d'un chapelet de nappes qui coïncide avec la route suivie. L'OSRL a lancé un premier chantier de dépollution.
 
Le 18 novembre au matin, le convoi se positionne à plus de 100 nautiques dans l'ouest-sud-ouest du cap Finisterre. Un survol des Douanes françaises en début d'après midi montre que le navire ne fuit plus.
A terre plusieurs sites prioritaires ont été désignés par les autorités galiciennes. Il s'agit des anses de Camelle, Malpica et Cayon.
 
Le 19 novembre à 8h50, le navire se casse en deux par 42° 15' N et 12° 08' W, à 130 nautiques des côtes dans l'ouest-sud-ouest du cap Finisterre.
 
La partie arrière coule à 12 h et la partie avant vers 16 h. Malgré tous les efforts déployés, la tentative de sauvetage du Prestige s'achève sur un échec qui conduit à une situation encore jamais vue : le naufrage des deux moitiés d'un pétrolier fuyard par 3500 m de profondeur, au large d'une région qui a déjà vécu deux marées noires majeures. La longue dérive en mer du fioul, l'ampleur du littoral touché, la difficulté d'un traitement de l'épave à cette profondeur alimentent une volée de critiques contre les décideurs espagnols.

Comme après le naufrage de l'Erika, des avis contradictoires sont émis au fil des semaines sur les décisions prises. Étaient-elles les meilleures ? Pourquoi n'a-t-on pas dirigé le navire vers un port-refuge ?
Il n'appartient pas au Cedre d'apporter un avis de plus. Mais il nous paraît utile de rappeler que les gestionnaires d'une telle situation disposent de très peu de temps pour évaluer la situation, dans des conditions de tension très lourdes. Conseillers techniques des décideurs Polmar français, nous savons précisément ce que sont ces conditions. Face à l'urgence, les recours de base du décideur sont les dispositions du plan, dans la mesure où elles sont applicables à la situation, avec les moyens disponibles, ou à défaut l'expérience de cas antérieurs.
 
Il ne manque pas de cas antérieurs de pétroliers en difficulté qui ont été éloignés de la côte, ou maintenus au large, et sauvés après allègement (ex : Kharg V au large du Maroc en 1975, Castor en Méditerranée début 2001). Il ne manque pas non plus de cas où au moins une moitié du navire a continué à flotter après rupture et a pu être sauvée (ex : arrière du Tanio, en Manche, en 1980) ou s'est échoué ultérieurement (avant du Nakhodka en mer du Japon en 1997).
 
Nous ne connaissons par contre qu'un exemple de pétrolier volontairement entré fuyard dans l'abri d'une baie, le Sea Empress, à Milford Haven (pays de Galles), en 1996. Mais cette baie avait été déjà largement polluée au cours des 5 jours précédents par du pétrole échappé du navire échoué près du chenal d'accès au port.
 
Nous ne connaissons pas d'exemple de décision prise de risquer volontairement la pollution massive d'un port ou d'une baie en y entrant dans la tempête un pétrolier fuyard, sans l'avoir au préalable sécurisé.
 
Mener une telle opération avec succès impose une préparation et une organisation spécifiquement adaptées. L'Afrique du Sud en a fait la désagréable expérience avec le vraquier Treasure. Souffrant d'une importante voie d'eau au large, ce navire a été remorqué jusqu'en baie du Cap pour le sécuriser à l'abri de l'île Robben, avant entrée dans le port. Les délais d'inspection et les difficultés de sa sécurisation ont fait qu'il a coulé dans la baie le 23 juin 2000, y déversant 500 tonnes de fioul de propulsion, ce qui a imposé l'évacuation de dizaines de milliers de manchots du Cap.
Sources des informations de ce dossier : Sasemar, Marine nationale française, AEM Brest, experts du Cedre sur place.

Last update on 31/01/2003
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